LAZAREV Grigori

Sociologue, expert international

Troisième session

Communication : Le projet Sebou : un rêve des années 2000

 

Parti d’une formation de géographe et de socio-économiste, Grigori Lazarev est devenu un généraliste du développement rural. Il a acquis son expérience dans de nombreuses régions du monde dans le cadre d’institutions internationales, en particulier de la FAO.

Depuis 1994, il a, en tant que consultant indépendant, contribué à développer, pour diverses institutions internationales, des approches nouvelles de programmation participative du développement rural et de gestion locale des ressources naturelles. Au Maroc, il a été notamment impliqué dans les réflexions stratégiques sur le développement rural avec le Conseil général du développement agricole et le Commissariat au Plan.

Parallèlement à cette carrière, Grigori Lazarev a poursuivi les recherches de sociologie historique sur le Maghreb qu’il avait initié lors de ses activités universitaires au Maroc dans les années 1960. Ces travaux ont été récemment relancés dans le cadre d’un projet de recherche sur les aspects socio historiques des populations et des territoires du Maghreb, dans le cadre d’un groupe de recherche international basé au Maroc, l’Association Al Idrisi.

 

COMMUNICATION : Le projet Sebou : un rêve des années 2000

En 1963, le Gouvernement du Maroc entreprit, avec l’assistance de la FAO, les études qui devaient conduire à l’aménagement hydraulique du bassin du Sebou et à l’irrigation de la plaine du Rharb. Le projet devait aussi s’intéresser aux problèmes de développement de toutes les autres régions du bassin.

Ce projet qui s’étala sur six années fut l’un des trois plus grands projets de la FAO dans le monde à cette époque. Il impliqua de nombreux jeunes cadres marocains qui y acquirent une expérience que, pour la plupart, ils valorisèrent par la suite. Parmi ceux qui sont encore parmi nous, on comptait Abdelwahab Radi, Ahmed Lahlimi, Mohamed Naciri, Negib Bouderbala. L’ambition du projet Sebou fut de concevoir un aménagement du bassin dont l’horizon fut situé autour de l’an 2000. La Banque Mondiale qui finança la première tranche de ce projet avait fait remarquer avec condescendance que le projet s’était donné des objectifs irréalistes et qu’il était peu concevable de se projeter aussi loin.

Nombreux cependant furent les cadres du projet qui virent arriver l’année 2000. Ils ne purent que constater, avec le recul du temps, que la réalité avait été plus prégnante que le rêve de l’époque, sur les années 2000. Tous les barrages prévus avaient été construits, même ceux, comme sur les affluents de l’Ouergha, que l’on ne concevait que comme des options mineures. L’eau était arrivée dans le Rharb qui était désormais protégé des inondations qui le dévastaient. Le projet Sebou fut l’une des pièces maîtresses d’un autre rêve, celui du million d’hectares irrigué. Des industries agroalimentaires avaient été créées et de nouveaux moyens de suivi technique avaient été mis en place.

Mais le Projet Sebou eut d’autres suites qui allaient bien au-delà des infrastructures réalisées et du développement de nouvelles cultures dans les régions irriguées. Il eut en effet un impact considérable dans la structuration des moyens et des orientations du développement agricole qui suivit ses premières réalisations. Le premier impact se mesura au réemploi de ses cadres nationaux. L’un de ces cadres se retrouva au Crédit Agricole et le personnel de terrain qu’il emmena avec lui, devinrent, en raison de leur connaissance du milieu rural, parmi les premiers chefs des agences régionales. Un autre cadre se retrouva directeur d’un Office régional. Un autre devint un directeur au Ministère des finances. D’autres se retrouvèrent à l’IAV, à l’école Forestière de Salé et à l’INRA. C’est, dans ces nouveaux postes qu’ils purent valoriser l’expérience du travail d’équipe et de la prospective visionnaire qu’ils avaient vécu tout au long du projet.

Le Projet Sebou eut aussi des effets structurants sur les orientations des politiques agraires. Les travaux du projet ne s’étaient pas limités, en effet, aux questions agro-hydrauliques. Ils s’étaient aussi penché sur les défis posés par les diverses régions qui constituaient le Bassin du Sebou. C’est par un enchaînement de consultations postérieures que les réflexions sur le Prérif servirent de référence pour l’élaboration du premier projet régional de développement rural. Celui-ci, le Projet dit Karia-Tissa, fut financé par la Banque Mondiale et il fut à l’origine de toute une génération de projets semblables dans d’autres régions du Maroc. Le Projet Sebou avait aussi posé des jalons pour une réflexion nouvelle sur les agro-industries et sur la grande question de l’affectation des ressources en eau entre l’agriculture, les industries et la consommation des villes.

Avec le recul, le Projet Sebou fut bien plus qu’un projet des Nations Unies. Par son exceptionnelle intégration dans les structures de l’administration marocaine, il devint l’un des ferments des politiques agraires qui devaient marquer le pays, longtemps après que le projet international ait été clôturé. L’aide internationale a rarement été autant appropriée par les dynamiques nationales. Le mérite en revient surtout aux hommes qui en assurèrent la suite et surent tirer parti de cette expérience particulière.

Il n’est qu’un point sur lequel la Projet Sebou ne put mettre en pratique ses recommandations, celui de la question foncière. À l’époque, des Directives Royales avaient lancé l’idée de la création d’un Fonds Commun des Terres. Celui-ci devait regrouper les terres de colonisation, les terres collectives cultivables, des terres du domaine public. Le propos était de redistribuer ces terres aux petits agriculteurs pour que puissent être constituées des exploitations viables. Le Projet Sebou avait, sur ces bases, proposé, pour le Rharb, un réaménagement foncier qui permettait de réaliser cet objectif. Les ventes au privé et la domanialisation des terres de colonisation ainsi que les hésitations sur le statut des terres collectives, rendirent impossible la constitution du Fonds Commun des Terres. Le Projet Sebou avait en outre proposé une organisation des agriculteurs fondée sur une gestion participative des terroirs villageois. Ces recommandations, bien qu’avalisées par la Banque Mondiale, ne furent cependant pas suivies. Elles étaient probablement prématurées et ce n’est qu’au cours des dernières années que ces idées sont revenues dans le discours politiques.

Cette communication souhaiterait évoquer quelques moments de l’élaboration et de l’accomplissement de ce projet qui eut une dimension de rêve mais qui fut surtout notable par les effets qu’il eut au-delà de ses réalisations. Son message est de rappeler aux générations d’aujourd’hui l’importance décisive d’une vision cohérente du futur et celle de la longue continuité dans un engagement pour le progrès du pays.

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