L’EDITORIAL DU DIRECTEUR ARTISTIQUE

Par Alain Weber

Directeur artistique

L’eau est le miroir de notre avenir.

~ Gaston Bachelard

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L’eau, impalpable commencement et véhicule de la vie, traverse l’espace-temps non sans irriguer les imaginaires.

Fluidité originelle, qu’elle soit simple molécule ou abîme océanique, elle incarne l’infiniment petit et l’infiniment grand. Ses formes multiples suscitent la fascination, la gratitude, la crainte aussi. Source de vie, moyen de purification et de régénérescence, l’eau est aussi ce « miroir de notre avenir ». Dans son sillage, l’inspiration et la sagesse au fil de combinaisons variées.

Matérielle ou spirituelle, ses deux faces se rejoignent dans une vision universelle et cosmique qui nous renvoie aux plus anciennes traditions et aux religions du monde, du Coran aux Évangiles, de la Torah au Rig Veda. Des milliers de contes et légendes relatent l’eau, abris des fées, des nymphes, lieu de pouvoirs magiques reliés aux forces de la nature, bénéfiques ou maléfiques.

Ainsi, au Maghreb, la fameuse Aïcha Kandisha, fée ogresse protectrice des amoureux, hanterait les rivières, prête à piéger de sa beauté nocturne le vagabond solitaire ou le berger égaré. À Fès, elle se dissimulerait dans les eaux de l’Oued El Jawahir (la Rivière de Perles) – celui qui coule aux abords de la médina, sous le pont de la Place de la Noriah, juste derrière Bab Makina. À cette place, une dimension mystique est attribuée par les habitants qui, pour apaiser la fée, y déposent des offrandes (bougies, pain, coq noir égorgé…).

 

Ibn Arabî, l’Andalou, a écrit de la terre céleste qui fut celle d’Adam : « Là-bas, les jardins, les paradis, les animaux, les minéraux sont tous doués de vie et de parole, et à la différence du monde physique, ils sont permanents, impérissables, immuables, leur univers ne meurt pas. »

À présent, nous sommes bien loin de cette terre céleste. La consommation frénétique du monde génère déni et amnésie : cette nature que nous violentons, fragile, est aujourd’hui atteinte au plus profond de ses fondements. D’ici 2020, deux tiers des animaux sauvages auront disparu, ceci dans une indifférence presque générale.

Le jardin bustan andalou, arabe, indien ou perse en tant que reproduction du jardin d’Eden et réminiscence de la genèse de l’humanité avant sa chute évoque le souvenir et la quête du paradis perdu, où plantes et arbres se déployaient grâce à l’eau de vie.

La cité de Fès n’est pas épargnée, ainsi que le fait remarquer l’architecte Aziza Chaouni : « son passé est intimement lié à celui de ses cours d’eau. Ils ont permis à la ville de grandir et de prospérer. Ils ont irrigué des jardins et des vergers, et ont fait tourner des norias et des moulins. Ils ont nourri nombre de fontaines extérieures publiques, ou encore celles des hammams, des mosquées, des zaouïas, des medersas et des fondouks. Malheureusement, la plupart de ces fontaines sont soit défectueuses soit taries aujourd’hui suite à la dégradation du réseau hydraulique, à la pollution et à l’amenuisement des nappes phréatiques. »

 

Cette édition du Festival de Fès nous propose de faire le lien entre l’origine de l’homme et son devenir ; devenir qui semble compromis sans une prise de conscience de sa dépendance à l’environnement véritablement suivie d’effets.

Puisant dans un vaste répertoire inspiré par l’eau, son programme musical sera avant tout un hymne à la nature, au monde maritime et océanique, avec entre autres la symphonie flamenca Poeta du grand guitariste Vicente Amigo, la venue d’artistes des îles du Japon, de la Sardaigne ou de la Crète et un hommage aux grands fleuves du monde, artères vitales de notre planète.

La création d’ouverture explorera le monde de l’eau avec une intention écologique et spirituelle. Elle évoquera tour à tour les fontaines de Fès, l’Amazonie, emblème de la forêt primaire, le langage des siffleurs amazigh du Haut-Atlas et des Canaries, l’Arche de Noé et le déluge, ou encore l’oasis du désert célébré dans la poésie soufie…

En collaboration avec l’Institut Français de Fès et à l’attention particulière des enfants des écoles, sera mis en scène un café de Haute-Egypte avec musique saïdi, danse, magie et la projection d’un film ayant pour protagonistes les enfants musiciens du Nil.

Ce festival se veut ainsi un voyage initiatique scandé de traditions musicales, de poésies, de danses.
 Le sacré est le lien unissant l’homme à la nature, comme le soufflait Claude Lévi-Strauss, pour qui la sacralisation du vivant apparaissait comme une condition première de la sauvegarde écologique. 
La musique n’est-elle pas le prolongement de cet invisible remontant à la fondation des temps, à l’âge cosmogonique, tandis que l’homme s’en remettait au divin pour ordonner le moindre détail de son quotidien ?

Qui plus est, explorer la musique de l’Autre suscite la découverte de Soi. Se mettre à l’écoute de l’inconnu, entrer un peu plus loin dans le Mystère…