MAYAUX Pierre-louis

Chercheur en politiques de l’eau et de l’environnement CIRAD/Ecole de Gouvernance et d’Economie (EGE)

Quatrième session

Communication : Les eaux usées : d’un problème ancien à de nouvelles opportunités pour le développement durable

 

Pierre-Louis Mayaux travaille sur les politiques de l’eau au Maroc dans une perspective comparée, en lien notamment avec les autres pays du Maghreb et l’Amérique Latine. Ses recherches se situent au croisement de l’analyse des politiques publiques, de la sociologie des savoirs et de la political ecology.

Il s’intéresse principalement à l’articulation entre savoirs formels, bureaucratisés, et savoirs pratiques, localisés, dans la prévision, la gestion des risques et la régulation des conflits liés à l’eau. Il étudie également la manière dont ces savoirs nourrissent les institutions et se matérialisent dans des instruments d’action (documents de planification, réglementation, cartes, calculs tarifaires). La perspective historique est largement privilégiée : comment se construisent, au cours du temps, les savoirs et les institutions de la gestion de l’eau ? Quels sont, sur ces savoirs et ces institutions, les effets des réformes contemporaines (externalisation de l’expertise, agencification, exigences d’une gestion « durable ») ? Ses recherches portent enfin sur la légitimation de l’action publique et la production de l’acceptation sociale des politiques publiques.

Les objets étudiés sont essentiellement les politiques de gestion des eaux souterraines (Saïss, Tadla, Berrechid) et la réutilisation des eaux usées urbaines (Haouz, Settat). Une recherche est également en cours au Brésil (Sao Paulo).

 

COMMUNICATION : Les eaux usées, une ressource inexploitée ?

Elles sont omniprésentes, là où les activités humaines requièrent de l’eau : en aval de l’industrie, de l’agriculture et des usages domestiques. Et la croissance mondiale (urbaine, démographique, industrielle) aura pour effet inévitable d’en multiplier la production. Pourtant, dans les pays à faible revenu, les eaux usées sont encore rejetées à plus de 90% sans le moindre traitement dans les milieux naturels, contre30 % dans les pays à haut revenu. La dépollution de ces eaux est donc partout à l’ordre du jour, alors que l’absence d’assainissement constitue toujours l’une des premières causes de mortalité et de morbidité dans le monde. Mais l’on s’interroge également, de plus en plus, sur la possibilité d’aller plus loin, pour non seulement traiter ces eaux mais également les réutiliser.

L’idée de base est des plus simples : transformer en ressource ces eaux usées que l’on considérait jusque là comme un fardeau, qu’on cherchait à rejeter le plus loin possible des consommateurs. Le dernier rapport mondial des Nations unies, paru en mars 2017, est emblématique de cette évolution du regard. Il est entièrement consacré aux eaux usées et à leur possibilité de mise en valeur. De fait, les avantages conférés à la réutilisation sont légion. Celle-ci pourrait permettre de générer de nouvelles ressources en eau, particulièrement bienvenues dans les régions du monde les plus affectées par le stress hydrique. Ces eaux, chargées en nutriments naturels, sont d’autant plus intéressantes qu’il s’agit d’une ressource locale disponible pour les zones agricoles situées à proximité des villes. Hormis l’agriculture des débouchés existent pour le secteur industriel (procédés de production en circuit fermés ou intégrant des effluents traités) et touristique (irrigation des espaces verts). Les boues d’épuration peuvent également être valorisées, notamment pour produire de l’énergie (méthanisation) et pour des usages agricoles. En bref, la réutilisation porte la promesse d’une conciliation entre développement économique et préservation d’une ressource naturelle, en développant une économie « verte » et « circulaire ».

Elle apparaît donc comme une voie d’avenir. En Jordanie par exemple, 90% des eaux usées sont déjà réutilisées pour l’irrigation. Mais la pratique demeure embryonnaire à l’échelle mondiale: parmi les 165 milliards de mètres cubes collectés et traités par an dans le monde, seuls 2% sont réutilisés. Car les obstacles sont nombreux. Les risques sanitaires existent pour les agriculteurs et les consommateurs, qui nécessitent une réglementation adaptée et des contrôles effectifs. Certains risques environnementaux de long terme (sur les sols par exemple) demeurent insuffisamment connus. Le financement des projets pose également question, sans parler des réorganisations institutionnelles nécessaires pour les piloter. Une chose est cependant  sûre : les eaux usées seront de plus en plus considérées, à l’avenir, comme une nouvelle ressource à faire fructifier.

Event List