Visite Fès
« Visite Fès, là-bas, les vœux se réalisent
Là-bas l'homme est protégé de tout mal
Les populations de Fès font oublier les terres d'origine.
Des pluies de bénédiction, à Fès, tombent en abondance
Bénie soit cette terre, demeure des éloquents.
(Dīwān) d'Elhadji Malick Sy (m. 1922)
(Figure importante du soufisme en Afrique de l'Ouest et membre de la Tijāniyya)
Renaître suppose l'idée d'une nouvelle vie. Il en va ainsi des civilisations et des peuples, dont l'Histoire atteste d'un éternel cycle de création - destruction - reconstruction. L'homme, poussé par un processus d'anamnèse, a constamment dû se retourner sur lui-même, de repartir à la quête de son origine. Et, c'est à cet endroit, dans le creuset de la source primordiale, que l'on retrouve la nature - une nature qui, était liée au sacré, depuis les philosophies grecques et indiennes jusqu'à l'apogée des religions monothéistes.
Autrefois cité du savoir, Fès était symbolisée par la Quaraouiyine, la plus ancienne université au monde. Elle diffusera, dès sa construction en 263 de L'Hégire, dans toute l'Afrique et le monde musulman, une connaissance héritée de la Grèce antique, au même titre que Florence et la Renaissance italienne redécouvriront plus tard l'art de l'Antiquité.
L'un des axes principaux de cette programmation, à l'instar de celui de la création, sera donc l'expression d'une traversée constante entre l'Afrique d'un côté, le Maroc au centre et la Renaissance occidentale qui verra naître de nouvelles approches musicales avant même l'avènement du baroque.
La Renaissance italienne et européenne sera mise en valeur par une des œuvres fondatrices de Monteverdi: Vêpres de la Sainte Vierge ou encore par la tradition sacrée franco-flamande du chant polyphonique grégorien.
L'Afrique, elle, sera célébrée à l'aune de la créativité de ses performances avec la danse ivoirienne Zaouli de Manfla, la tradition des Échassiers, les incontournables Tambours du Burundi. Une Nuit des Griots nous emmènera sur les chemins de l'Empire Mandingue, du Mali au Ghana, tandis que les rituels soufis des Mourides du Sénégal feront écho à la confrérie fassie Tijāniyya.
Cette édition sera aussi révélatrice de diverses expressions féminines notamment dans l'univers soufi du deba - régi essentiellement par les femmes de Mayotte, la quête identitaire de femmes, à travers la poésie de ces « 4 femmes », venus d'Orients différents, les chants persans classiques de jeunes artistes iraniennes où la tradition féminine des bardes du Kazakhstan. La connexion sensible intimée par les jumelles sévillanes Florencia Oz et Isidora O'Ryan dans le magnifique duo « Antipodas », révèle, lui, une nouvelle fois la créativité actuelle qui existe dans le flamenco contemporain. Un flamenco dont la valeur est dû à la richesse de ses racines historiques et poétiques, celles qu'incarnera magnifiquement le grand Miguel Poveda. Un artiste qui exprime on ne peut mieux ce duende, si bien décrit par Lorca, le duende de dueño : « le maître »en espagnol , ici de nos émotions. Cette extase musicale et poétique, similaire au « tarab » de la culture arabe à l'écoute du « motreb », (en arabe textuellement « celui qui donne l'émotion »), celle précisément que ce festival essaye sans cesse de partager.
Alain Weber