Qu’elle soit paysanne des montagnes ou des vallées, musicienne, danseuse ou chanteuse professionnelle comme les chikhâts ou les rwayyes du Souss, la femme marocaine est attachée à sa terre, à sa langue, aux traditions d’un héritage oral transmis de génération en génération.
En ce sens, elle s’inscrit dans une universalité, les femmes portent en elles l’intimité du rituel de l’existence, une intimité que les hommes par pudeur ont plus ignorée.
Les Cheikhats sont, elles, essentiellement originaires du Moyen-Atlas et de la région de Beni-Mellal. Toutes ne sont pas simplement choristes ou danseuses et certaines d’entre elles s’affirment comme chanteuses à part entière. Elles prolongent une ancienne tradition poétique qu’elles ont adaptée au fil du temps.
Chèrifa fut découverte, alors qu’elle n’était qu’une jeune paysanne, par le grand maître et chanteur Rouicha dont elle sera pendant longtemps la choriste.
Originaire de Khenifra, la petite ville à la couleur ocre des montagnes avoisinantes, Chèrifa peut paraître, aux premiers abords, austère voire masculine. Sa vie de chanteuse professionnelle lui confère un autre mode de vie, un autre statut que celui des femmes marocaines traditionnelles.
Les Cheikhats possèdent un statut ambigu : femmes libres, elles sont en même temps les porteuses d’une parole qui appartient à la communauté et qui révèle les pensées cachées de chaque être.
Dans le « tamawayt » le genre chanté berbère du Moyen-Atlas, elle déclame les paroles des poètes de village, accompagnée du luth « lotar » d’Aziz Aarim, musicien d’une rare finesse et dont le jeu nous évoque les couleurs orientales et les teintes africaines de la musique berbère.
Le registre émotionnel alterne entre sentiment de réjouissance et de souffrance.
Les chants de Chèrifa se concluent souvent par le rythme de l’ahidous, la danse et le chant communautaire des villages du Moyen-Atlas.
Dans l'Ahidous originel, le poète pénétrait au centre d'un cercle humain aussi bien masculin que féminin pour déclamer un point de vue qui pouvait être contredit ensuite par un autre membre du village. Les choeurs des danseurs acquiesçaient par un jeu de formules responsoriales lors de fêtes qui pouvaient durer plus de 4 heures. L'énergie de ces danses catalysée par le raïs pour la musique et le rythme, et le ma'llem pour l'organisation de la danse, entretient un rôle unificateur au sein du village.
Appelé berbère par les anciens conquérants grecs et romains qui nommaient ainsi tous ceux qui ne parlaient pas leur langue, ce peuple revendique aujourd’hui une réelle identité culturelle et linguistique. Sa langue d'origine karito-sémitique, donc relativement proche de l'arabe, se subdivise en différents groupes, du dialecte touareg à celui chaoui des montagnes de l'Aures, du Imazighen du Moyen-Atlas, la langue de Chérifa, au chleuh du Haut et de l'Anti-Atlas.
Aujourd'hui les berbères tentent d'adapter à leurs dialectes respectifs l'écriture touareg. Ce sont eux qui, de par, leur noblesse “barbare”, ont forgé, par leur empreinte, la musique marocaine d’aujourd’hui.