Fès au miroir de l’Afrique et ses musiques
«Je ne sais en quel temps c'était, je confonds toujours l'enfance et l'Eden
Comme je mêle la Mort et la Vie
Un pont de douceur les relie».
(Léopold Sédar Senghor, Ethiopiques)
Le temps aussi à Fès est impalpable, sa médina nous entraînant constamment dans le labyrinthe du passé.
Si Fès est andalouse, arabe ou amazighe (notamment pendant la période mérinide), elle est aussi africaine.
Les grands voyageurs, les pèlerins, qui ont traversé les contrées inexplorées de l’âme, ou ceux qui ont traversé celles du monde, favorisant routes commerciales ou provoquant les grandes expansions de l’Islam, sont partis très tôt à la rencontre des peuples de l’Afrique.
Déjà à l’époque, nous aurions pu assister à un choc des cultures, entre des populations aux mœurs et aux origines disparates, tribus animistes des grands fleuves africains, bédouins du désert, touaregs ou peuls nomades, amazighs de l’Atlas et du Rif, commerçants juifs, chrétiens ou musulmans.
Les récits de voyage, dont celui de Léon l’africain en témoigne, l’Afrique était à l’époque et est encore le vaste terrain d’une humanité plurielle, imaginative et féconde.
L’ouverture de cette 21° édition en témoignera à travers une grande création, véritable voyage initiatique et coloré.
Des pierres du désert aux pierres précieuses des royaumes africains d’antan, une grande fresque musicale évoquera l’âme d’une Afrique décrite par Hassan Wazzan (né vers 1490, décédé vers 1550 - dit Léon l’Africain ou Yuhanna Al-Assad en arabe). La présence de la confrérie Tijani, Fès et sa médina, seront le lien entre Andalousie et Afrique.
Des rives du Nil au fleuve Niger, des montagnes de l’Atlas au vaste désert subsaharien, de l’ancien Empire Songhaï à celui Mandingue, de Tombouctou au Caire, les plus grands artistes traditionnels du Maroc, du Mali, d’Egypte, de Mauritanie ou du Sénégal seront présents.
Ainsi Fès rend hommage à une Afrique qui a influencé la plupart des musiques populaires occidentales. Des grands rituels fondateurs, où l’homme s’inspire de la force et de la beauté de la nature, comme le surprenant rituel des «Masques de la lune», nous suivrons le chemin d’une diaspora tristement liée aux routes de l’esclavage.
Au fil des siècles, cette émigration forcée, imprégnera de sa propre identité les musiques des Caraïbes et d’Amérique du nord.
La «Black music» est née des works songs, chants de travail et des «shouts», véritables déclamations poétiques sur le modèle africain qui esquisseront le négro spiritual du XVIIIe siècle.
Si autrefois, la nuit, en cachette, les Noirs chantaient leur foi chrétienne et rêvaient d’un monde meilleur, aujourd’hui la musique noire est présente sur toutes les ondes du monde: du blues au gospel, de la soul music au rythm’n blues, du jazz au rap. Cet essor musical né dès les années 40, sera incarné par les légendaires et historiques Temptations, piliers du grand label Tamla Motown.
Beaucoup de jeunes artistes africains, aujourd’hui, se réapproprient cette musique, comme Faada Freddy à travers un gospel innovateur ou la jeune chanteuse griotte, Fatoumata Diawara, qui se ressource, elle, aux rythmes cubains hérités des rituels initiatiques des Orishas.
Et puis, les grands maîtres d’une africanité contemporaine seront là, de Ballaké Sissoko pour la soirée d’ouverture à la grande Oumou Sangaré, ou à l’un des fondateurs du reggae africain Tiken Jah Fakoly. Tous œuvrent pour la présence africaine dans le monde.
D’autres formes d’émotions, seront aussi suscitées par les grands daffs kurdes d’Iraq, la pipa chinoise, la slide guitare indienne, la kora mandingue, les voix corses ou les cornemuses bretonnes.
Après Tomatito et le regretté Paco de Lucia, Fès l’andalouse sera célébrée par la venue du grand Diego Al Cigala, mais aussi par «Amen en la voz del Hombre», une création où s’entrecroisent «saetas» et musique classique.
D’autres Andalousies, comme celles d’Alger ou de Tunis, incarnées par Beihdja Rahal et Sonia Mbarek, croiseront celle de Fès. Ce festival miroir de la diversité du monde révélera aussi celle du Maroc, avec des formes d’expression aussi diverses que celles de l’ensemble populaire de Lamkkartaas de Tissa ou de la musique contemporaine de Nabil Benabdeljalil et de l'Ensemble Zakharif, dans un désir d’harmonie, entre passé, présent et devenir cher à ce pays.
Alain Weber
Directeur Artistique